LeBlanc, Isabelle (inédit)

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Étant donné mes origines sociales, c'est grâce à l'obtention de bourses d'études que j'ai pu étudier et vivre à Poitiers, Ottawa, Toulouse, Prague et Paris. En sortant de l'Acadie, j'ai rapidement compris que mon français acadien, le seul que j'avais, n'était pas "le" français légitime.

Chaque fois que je parlais j'avais honte - au sens d'avoir conscience de vouloir sans pouvoir échapper à moi-même. Je rougissais en commandant ma baguette à une boulangerie à Poitiers. J'avais une telle honte, car parler c'était aussi m'éloigner du mythe de l'unicité, d'appartenir à une même culture, une même langue que j'avais intériorisée comme allant de soi.

Je vivais une sorte de dépossession linguistique et identitaire qui prenait la forme d'une "révélation de soi qui est dans le même temps la destruction de soi" (Foucault).

Je m'identifiais comme Acadienne, mais je constatais que ma langue n'était pas "le" français. Pas le bon anywé.

La conviction que je devais me rapprocher davantage du français de France a pris la forme d'un déploient d'autosurveillance et d'hypercorrection comme mode de contrôle visant à rendre ma performance langagière "légitime". 

À force de vouloir devenir légitime, je suis devenu un Perroquet. Complètement aliénée de ma propre voix. Je "performais" un accent français axé sur la prononciation de France, j'étudiais à Sciences Po à Paris, je vivais une ascension sociale. Pour être quelqu'un, fallait que je parle comme quelqu'un d'autre.

Enfin, après des années d'aliénation, de brumosité, le hasard a fait en sorte qu'en 2010 à Moncton, j'ai croisé Antonine Maillet lors d'un événement Frye comme celui d'aujourd'hui. Maurice Basque m'a introduit à cette grande écrivaine. J'ai voulu lui dire que nous étions originaires du même coin en Acadie, mais je n'ai pas réussi à la convaincre de mon acadianité.

Elle répétait : tu es originaire d'où en France? Je répondais "non, non, je suis Acadienne". Elle souriait et disait "d'accord, je comprends, tes parents sont Acadiens, mais toi tu as grandi en France"...

J'avais tellement bien réussi à gommer mon accent que ma propre voisine, la grande écrivaine, me pensait Française.

Transformation réussie ou brumosité totale?

Finalement, être légitime ne me convenait pas. Car le prix à payer était de masquer qui j'étais, d'où je venais et comment je parlais. Renier mes origines m'a amené à retrouver celles-ci dans ce moment brutal où on ne me les reconnaissait plus.

C'est donc depuis ce moment que je m'intéresse à la reformulation identitaire en lien avec la langue et du rôle des Acadiennes, ces femmes brumeuses et méconnues, dans l'affirmation d'une identité en quête constante de reconnaissace. La brumosité, à mon sens, est de choisir de résister quand on essaie de nous éclairer avec un phare qui ne correspond pas au lieu où on est ni au lieu où on souhaite exister.


                             texte extrait et inspiré de LeBlanc, I., Martineau, F. et Boudreau A., (2023, à paraître), "Se raconter 
                             pour comprendre son objet de recherche", dans Sara Cotelli (dir.) Textes en hommage à                                               Frederica Diémoz, Kureth, Université Neuchâtel.                            

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